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Les cahiers du Musée national d'art moderne n°82

Les cahiers du Musée national d'art moderne n°82

«La construction de cette singulière monstruosité architecturale, à laquelle il songeait à cette époque consacrer une étude, avait été entreprise vers les années quatre-vingt du siècle dernier, dans la précipitation, sous la pression de la bourgeoisie bruxelloise, me raconta Austerlitz, avant que les plans grandioses présentés par un certain Joseph Poelaert aient été élaborés en détail, et la conséquence en était, dit Austerlitz, que dans ce bâtiment d'une capacité de plus de sept cent mille mètres cubes, il existait des corridors et des escaliers qui ne menaient nulle part, des pièces et des halls sans porte où jamais personne n'avait pénétré et dont le vide conservait emmuré le secret ultime de tout pouvoir sanctionné.
Austerlitz me raconta que cherchant un labyrinthe d'initiation des francs-maçons, dont il avait entendu dire qu'il devait se trouver soit dans les caves soit dans les combles du palais, il avait erré de nombreuses heures dans les entrailles de cette montagne de pierres, parcourant des forêts de colonnes, passant près de colossales statues, montant et descendant des escaliers sans que jamais personne ne lui demande ce qu'il voulait.
Parfois, dans ses pérégrinations, fatigué ou cherchant à s'orienter, il avait regardé par les fenêtres percées dans les épaisses murailles, dominé les toits gris plomb se chevauchant et s'encastrant comme les glaces chaotiques d'une banquise, ou plongé le regard dans les gouffres et les puits de cours intérieures où jamais encore le moindre rayon de lumière n'avait pénétré.
Il avait parcouru, dit Austerlitz, des couloirs et des couloirs, prenant tantôt à gauche, tantôt à droite, continuant tout droit, indéfiniment, il avait franchi une multitude de portes immenses et quelquefois aussi emprunté des escaliers de bois craquants et comme provisoires qui, ça et là, se branchaient sur les couloirs principaux et montaient ou descendaient jusqu'à des demi-étages, et s'était retrouvé dans d'obscurs diverticules au fond desquels s'entassaient classeurs à rideau, pupitres et écritoires, tables et chaises de bureau et autres pièces de mobilier, comme si, retranché derrière, quelqu'un avait dû soutenir en ces lieux une sorte de siège. »

Cette évocation du palais de justice de Bruxelles, dans laquelle le fantôme de Piranèse semble croiser celui de Kafka, provient du livre de l'auteur allemand W. G. Sebald, Austerlitz {publié en français l'automne dernier par les éditions Actes Sud, dans une traduction de R Charbonneau).
Ponctué de diverses descriptions architecturales - de la gare centrale d'Anvers jusqu'à notre BNF, en passant notamment par le fort de Breendonk et la commune de Terezin -, ce récit relate les rencontres, au fil des années, entre le narrateur et Jacques Austerlitz, historien de l'architecture peu à peu amené à une stupéfiante reconstitution de sa propre histoire.
La mort accidentelle de Sebald en décembre 2001 a transformé Austerlitz en sa dernière oeuvre. La présente livraison, élaborée en collaboration avec Frédéric Migayrou et dévolue tout entière à l'architecture, se veut aussi un hommage à la mémoire de cet écrivain exceptionnel.


ISBN/EAN
9782844261410
Format
190 x 260
Année
2003
Pages
128
Editeur
CENTRE POMPIDOU
Auteur(s)
Collectif
  • 23 €

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